Comité d'échange Erve & Charnie / Sulzheim

Comité d'échange Erve & Charnie / Sulzheim

Témoignages

Frédéric Baudry nous présente l'association "Les ateliers d'histoire de la Charnie" qui édite le journal local : " Le petit Babillard Illustré".

L'association a pour but de :

"RECUILLIR, PARTAGER, et de TRANSMETTRE tout ce qui se rapporte à la vie de ceux qui sont nés, ont vécu ou ont participé à la vie de notre village.

Receuillir et non fouiller,

Partager et non s'approprier,

Transmettre et non conserver."

Voici le lien du site internet de l'association :

http://ateliersdelacharnie.free.fr/

 

Le thème pour l'édition de juin 2011 est "Charnie, terre d'asile, tierre de liens" et s'inscrit totalement dans l'idée de notre échange avec Sulzheim. Frédéric avait donc demandé à tous ceux qui le souhaitaient de faire part d'une de ses expériences, relations ou moments particuliers vécu avec nos amis de Sulzheim. Certains se sont donc prêtés au jeu, en particulier, Annick Chauveau, fille de Victor Julien, l'un des pères fondateurs de notre jumelage. Dans ce récit, on y apprend vraiment le début de l'histoire de notre échange et ses quelques anecdotes. 

Si ces articles vous ont donné des idées, il n'est jamais trop tard pour écrire votre récit. N'hésitez pas, nous pourrons les publier sur ce blog (après votre accord bien-entendu).

Bonne lecture !

Remerciements encore  aux "Ateliers d'histoire de la Charnie" pour cette initiative et pour nous autoriser la publication de ces articles.

 

Témoignage Annick Chauveau (fille de Victore Julien) recuilli par "les ateliers de la Charnie"

 

En 1967, dans  la petite ville allemande de Sulzheim, non loin du Rhin, Adam Becker et Victor Julien posaient les bases du jumelage qui allait être signé l’année suivante à Sainte-Suzanne. Avec 43 années d’existence, nombreux sont celles et ceux qui ont pris part à l’histoire du jumelage ou qui en ont entendu parler. Mais avec le temps aussi, ceux qui ont repris le flambeau des fondateurs disparaissent à leur tour, des deux côtés du Rhin, et avec eux les traces de cette histoire. Lors du 40ème anniversaire du jumelage, à Sulzheim, déjà consciente du risque de perdre ou d’oublier les raisons et les valeurs qui ont servi à fonder cet exemple de fraternité, Annick Chauveau, une des filles de Victor et Simone Julien, avait voulu, en quelques lignes, rappeler ce que fut le début du jumelage.

Aujourd’hui, Annick revient sur ce qui fut en fait une longue histoire. Assise sur le grand côté de la table du séjour, tournant le dos à la lumière forte de ce début d’après-midi de mai, ses mains légèrement fébriles, remuent des enveloppes épaisses posées devant elle. A sa droite, son mari Jean-Paul, plus détendu soulève aussi quelques documents. Puis Annick tend une photo noir et blanc, jaunie, petite mais très nette, j’étais petite mais je me souviens très bien, quand les soldats allemands sont venus réquisitionner la Fontaine, ils avaient pris tout l’étage et avaient dit à ma mère que moi, « la pépée », je dormirais avec elle. Plusieurs revenaient d’Ouradour et la mère d’Annick était effrayée par leur présence. A ce propos, Jean-Paul prend le relais d’Annick et raconte qu’une fois, allant chercher sa faux dans le fossé où elle l’avait laissée pour couper la luzerne, Simone Julien tomba sur un soldat endormi à côté et s’enfuit en courant vers la ferme en criant à Annick de la suivre. Durant les cinq années où il fût prisonnier en Allemagne, Victor, fit parvenir à Simone des lettres accompagnées de quelques photos sur lesquelles on le voyait avec d’autres camarades de captivité ou bien en train de travailler dans les vignes. A chaque nouvelle lettre, Simone, demandait à sa  fille âgée de cinq ans : Il est où papa ? – Là ! répondait-elle, sans jamais se tromper.

Aussi, à la fin de la guerre, le jour où un de ces émissaires qui sillonnaient la campagne aux alentours de Sablé pour donner des nouvelles des prisonniers arriva à la Fontaine et annonça le retour de Victor pour le lendemain, l’émotion fût à son comble. Victor arriva bien le lendemain, le 13 avril 1945, sur le siège arrière d’une moto et Annick put enfin se blottir dans les bras de ce père dont l’image qu’elle avait, était liée pour l’essentiel à ces photos que soixante ans plus tard, les mêmes yeux regardent rougis par l’émotion. Mais tous les soldats n’avaient pas pu écrire ou envoyer des photos de leur captivité, selon la région, le travail et le régime qui étaient les leurs. Il en fut ainsi pour le père de Jean-Paul qui était en captivité du côté de Nüremberg et travaillait dans une usine. Puis, il ajoute que certaines lettres eurent de graves conséquences, ainsi, pour cette femme qui demande le divorce et quitte sa ferme après que son mari lui eût écrit qu’il travaillait chez des fermiers, parents de trois jeunes filles. Mais avant que ces photos, somme toute paisibles, ne parviennent à la Fontaine, Victor avait traversé des épreuves très difficiles.

Annick tourne alors délicatement les pages d’un vieux cahier à moitié défait. D’une écriture ample et rapide, Victor y avait consigné des dates suivies d’indications brèves. En parcourant ces lignes et en remontant dans ses propres souvenirs des récits de son père, Annick évoque alors les dix jours qu’il a passés sans manger, entassé avec ses camarades d’infortune dans une cellule au sous-sol d’un bâtiment à Nancy, on était en 1940. Le 22 juin, Victor était fait prisonnier dans un bois proche de cette ville, situé sur la colline de Sion, dans lequel les habitants venaient se réfugier la nuit. Il put tenir en dérobant trois pommes de terre alors qu’il transportant des sacs, mais il ne pesait plus que quarante kilos. Alors il demanda à manger sur un petit papier, auquel il joignit un billet, qu’il jeta au dehors à travers le soupirail de la cellule.

Peu après, un soldat allemand le fit sortir de sa cellule et l’emmena devant le colonel. A la question de savoir s’il avait de a famille à Nancy, Victor répondit prudemment qu’il avait quelques connaissances. Le haut gradé fit alors venir une pile de tourtes de pain et lui dit qu’il avait de la chance. Il put les emmener et les partager avec ses compagnons. De ce signe de solidarité, Victor a conservé le regret d’avoir perdu le petit billet qui accompagnait les pains sur lequel une femme avait mis son nom. Avec internet, ajoute Annick, aujourd’hui, il l’aurait retrouvée.

Puis Victor quitta Nancy et arriva à Sulzheim en compagnie d’une trentaine de prisonniers. Ils se retrouvèrent à l’étage d’une grange située à gauche de la mairie de ce petit village, partagé entre l’élevage et la culture de la vigne. Vint le moment de répartir les prisonniers entre les différentes fermes où les bras manquaient. Annick tend alors une autre photo montrant son père devant une étable, à côté d’un bœuf imposant. Madame Steeg, une fermière du village, venait de perdre son mari explique-t-elle, il s’était tué en tombant d’une poutre de la grange et son fils Philipp, ainsi qu’Adam Becker qui deviendra son gendre, étaient partis sur le front russe. Seul Adam en reviendra. Elle se retrouvait donc seule avec sa fille Paulina et, comme dans toutes les familles, elle se demandait si le prisonnier qu’on lui affectait allait pouvoir travailler, s’il connaissait le métier dont elle avait besoin. Bien sûr il y avait le problème pour parler. Alors Madame Steeg alla caresser le bœuf en regardant Victor qui s’approcha à son tour de l’animal et fit de même puis attrapa l’équipage qui pendait sur le mur et mit le licol au bœuf.

Ainsi cinq années s’écoulèrent, entre les travaux des champs et ceux de la vigne. Un jour, Victor fauchait, avançant droit devant lui dans le champ. Soudain, un fermier voisin surgit, l’arrêta dans son élan et lui montra une borne enfouie sous la luzerne. Victor, paysan-prisonnier dans un pays sans clôture, n’avait pas vu la limite.

 Le 3 avril 1945, Victor marchait en direction de Mayence avec cinq camarades de Sulzheim et dès le lendemain, avant de prendre le train ou l’auto à Trêves, il donnait de ses nouvelles à madame Steeg et à sa fille Paulina. Allez, confiance, courage et en priant Dieu pour une bonne paix, Adam et Philipp seront bientôt de retour, écrivait-il dans cette lettre qu’Annick vient de tirer parmi d’autres d’une enveloppe en papier kraft. Mon camarade Arnault Massendo de chez Ohl (le tailleur) est là et transmet ses meilleures salutations à son chef.

De retour chez lui, Victor reprit son travail aux côtés de sa femme. Comme beaucoup d’épouses d’anciens prisonniers, Simone restait silencieuse quand des lettres arrivaient d’Allemagne ou que Victor parlait de sa captivité, mais jamais les liens entre la famille Julien et les familles de Sulzheim ne furent rompus. Ainsi le 15 août 1946, Victor s’excusait-il d’être trop paresseux pour écrire et disait que tout allait toujours pour le mieux chez lui et qu’il était très heureux que notre famille se soit agrandie avec la naissance d’une jolie petite fille. L’enfant fût baptisée Odile et Victor promettait la prochaine fois d’envoyer une photo de toute la famille.

Paulina, sa maman et Adam répondaient le 15 septembre suivant : nous avons reçu votre lettre estimée du 15 août, qui était écrite en bon allemand et nous nous en sommes réjouis beaucoup. Déjà longtemps nous avons attendu une lettre de vous après que nous vous avions déjà écrit deux lettres la dernière année ? N’aviez-vous pas les reçus ? La lettre poursuivait en félicitant la femme de Victor pour la naissance d’Odile et disait qu’Adam est retourné le 10 avril de la captivité de Russie. Son bras droit est paralysé et il ne peut plus travailler…Nous n’avons pas encore de nouvelles de Philipp nous ne savons pas, quoi il vit encore. Elle évoque les services rendus par Victor et dit la tristesse d’être privé de votre assistance, de vos conseils. Comment vous aviez dirigé et conduit très bien notre agriculture dont nous vous remercions encore une fois beaucoup/…il y avait beaucoup de nouvelles en Sulzheim depuis votre départ mais il faut de les raconter chez votre visite, autrement la lettre serait trop longue/…A Wörrstadt il y a beaucoup de familles françaises. Maintenant venez tout de suite avec votre famille.

Les années passent et la correspondance se poursuit de temps à autres, maintenant plus seulement entre Victor et la famille pour laquelle il travailla durant cinq années, mais aussi avec d’autres familles de Sulzheim. Le 2 juin 1950, Clemens Jakob, neveu de madame Steeg, écrit à Victor : Tante a raconté que pas un jour ne se passait où il ne fût question de vous avec la petite Paulina/…J’avoue sincèrement que moi aussi je me réjouirais énormément de vous revoir un jour, mes parents aussi, et de pouvoir bavarder avec vous. Est-ce que ce souhait deviendra un jour réalité ? Votre lettre est arrivée samedi saint. Vous pouvez à peine vous imaginer quelle fût notre joie. Du coup, Pâques fût une vraie fête même si d’un autre côté nous regrettions de ne pas avoir toute la famille Julien parmi nous. C’est bien compréhensible car vos enfants sont encore trop petits. Toutefois, Pour Anique, il reste toujours possible de venir à Mayence suivre sa scolarité ou au moins pour passer des vacances. Ce serait très gentil.

Douze années plus tard, en 1962, une famille à la recherche d’un cimetière de soldats arrive par hasard à Thorigné-en-Charnie et est orientée vers Victor, devenu maire, dès que les habitants comprennent qu’il s’agit d’Allemands. Le 23 août, cette famille écrit à la famille Steeg qui fait partie de leurs connaissances : M. Julien a parlé avec enthousiasme du temps qu’il a passé chez vous et je suis sûr que tout le village là-bas pense du bien des Allemands. Je crois que vous êtes parvenus à faire plus pour la compréhension entre les peuples que maints efforts officiels. Il repense encore volontiers au temps passé chez vous parce que vous avez été si bons avec lui.

Avec l’aide des lettres qu’elle tire une à une de la vieille enveloppe, Annick file peu à peu le lien qui allait unir deux villages des pays autrefois ennemis, pendant que, derrière elle, la vieille comtoise égrène les heures. Le 9 juillet 1964, Victor écrit à Adam et Paulina : Ma fille Odile devant aller demain en Allemagne je m’empresse de vous envoyer ces quelques mots. Puis il s’excuse une nouvelle fois de sa paresse, remercie la famille de leur belle lettre et poursuit Paulina, Adam, Frau Steeg, vous avez été pour moi une deuxième famille et Frau Steeg une deuxième maman/…Odile va rester 10 jours en Allemagne, je crois en Rhénanie, si elle peut elle ira vois voir. Venez ensemble à Thorigné, vous serez bien reçus. En attendant ce plaisir, reçois chère Paulina et Adam, Joachim et grand-mère de nous tous, avec notre bon souvenir, nos meilleurs amitiés. Le 10 septembre suivant, l’invitation de la famille Julien en déclenche une autre. Un aumônier qui encadre un groupe de jeunes Aveyronnais, venu en Allemagne comme le groupe dont fait partie Odile, est assis dans la salle des vignerons à Sulzheim. En face de lui, Adam et Paulina Becker ont lu avec joie la lettre transmise par Odile. Dans le mot qu’il envoie à Victor et que signent les familles Becker, Ohl et Zimmermann, Louis Barthe, l’aumônier de Saint-Chély-d’Aubrac dit que l’accueil des gens est sensationnel et le voyage également./..qu’Adam et sa famille regrettent que votre fille ne soit pas venue ici. Adam et sa dame vous invitent à revenir à Sulzheim pour revoir sa famille ainsi que les voisins. En son nom je vous dis « avec l’espoir de vous revoir », l’amitié de tous.

Victor a-t-il eu la chance de tomber sur des gens exceptionnels ? Annick, déplie la dernière des lettres qu’Ingrid Becker, la belle-fille d’Adam, lui a rapportées il y a seulement trois ans. Datée du 11 avril 1945, elle est signée du sous-lieutenant Machon Edouard, du 3e bataillon de Paris. Il s’adresse au commandement des forces alliées : Prisonnier de guerre français depuis le mois de janvier (28.43) j’ai été au service de la famille Zimmermann jusqu’à ce jour. Je certifie que toute la famille m’a considéré comme étant un membre de leur famille et que je n’ai rien à leur reprocher au contraire. Je garde un très bon souvenir de tous et remercie de tout cœur d’avoir toujours cherché à soulager et rendre ma captivité moins pénible. Je vous demande, au nom de l’humanité, d’être indulgent et moins sévère envers des gens qui on toujours défendu, au risque des représailles, des hommes sans défenses. Merci au nom du Cub.Kdo 32 Sulzheim. Votre dévoué serviteur ainsi que celui de la France. Au bas de la lettre, une main a écrit en allemand : il est interdit de réquisitionner chez ces gens. Service d’occupation. 29 janvier 46.

Annick Chauveau et son mari Jean-Paul, Saint Jean sr Erve (53) avec la complicité de Frédéric Baudry (2011)

NB : les fautes d’orthographe ou expressions maladroites présentes dans les parties en italique correspondant à des manuscrits ont été laissés volontairement.

 

Ci-dessous, le scan de l'article original du "petit Babillard"

 

Remarque : vous pourrez agrandir le texte en cliquant sur les articles

 

 

 

 

 

 

 

 

 



22/07/2011
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